Un soleil paisible brillait au dessus de Graham. De légers rayons de soleil s'abattaient sur les plaines. C'était un après-midi, pourtant les environs étaient très calmes, en particulier au ranch de la famille Hanson. Depuis pas loin de cinq générations, le ranch a été transmis de père en fils. C'était ainsi, le fils aîné devenait propriétaire à la mort de son père, et le reste de la famille l'aidait. Ceci rend hommage à Peter Hanson, qui fonda ce ranch à partir de pratiquement rien, et réussit à bâtir et tenir les lieux uniquement avec l'aide de sa femme et son frère. Bon évidemment, aujourd'hui, la famille engage des employés pour les aider à la tâche. Mais toujours est-il que la tradition est restée, et le ranch est globalement une entreprise familiale, reconnue dans toute la ville.
La porte de la maison s'ouvrit, et deux petites têtes filèrent à toute allure. « Doucement les enfants vous allez tomber. » héla la mère, inquiète. « Regarde maman comme il fait beau ! » répliqua la petite fille aux cheveux bruns, et qui repartit aussitôt en courant au loin. La mère soupira, et regarda le jeune garçon qui lui, s'était arrêté. « Matt, fais attention à ta sœur. » Le petit acquiesça. Il était visiblement plus âgé de quelques années, et semblait déjà plus mature. « Oui maman, je surveille Didou. » Eden, surnommée affectueusement Didou, était sa petite sœur d'une demi-douzaine d'années. Avec cet écart d'âge forcément, les conflits fusaient et des cris se faisaient souvent entendre. Que ce soit pour un jouet volé, de la jalousie, ou autre. Comme dans la plupart des familles il faut dire. Mais on ne pouvait pas dire qu'ils ne s'aimaient pas. Jordan avait beau se plaindre de sa sœur qui le collait tout le temps, au fond il aimait bien être son modèle. Et puis c'était marrant de voir une petite fille de 7 ans prendre un bâton dans la main et se mettre un sceau sur la tête pour jouer un chevalier plutôt qu'une princesse. Car à force de suivre son frère comme son ombre, Eden préférait de loin faire la bagarre plutôt que jouer aux poupées. Enfin, des poupées elle en avait bien sûr, mais elle les faisait jouer comme des Xena la guerrière plutôt qu'à la dînette.
Les deux enfants couraient jusqu'à faire exploser leur poumon, comme si le diable était à leur trousse. Pourtant, la seule chose qui les poussaient à courir, c'était la joie et l'exaltation. A chaque fois qu'ils faisaient la course, ils se retrouvaient toujours au même endroit : les écuries. Les rires atteignirent les lieux comme pour informer les chevaux de l'arrivée des deux fripouilles. Matt bouscula sa sœur et entra dans le boxe d'un poney. « Je prends Frutty. » « Mais tu prends toujours Frutty ! » bouda Eden. « Je suis l'aîné, c'est pour ça » dit-il en lui tirant la langue. La petite, dépitée, prit un autre poney. Vu qu'ils ont grandi au ranch, il est normal qu'ils sachent monter à cheval (enfin pour l'instant ils prennent des poneys). Alors qu'ils n'avaient que quelques mois, Matt comme Eden, leur père Joseph les emmenait dans le porte bébé faire une balade à cheval. Il s'est d'ailleurs trouvé que lorsqu'ils n'arrivaient pas à dormir, cette balade s'avérait très efficace. Les poneys scellés, le frère et la sœur n'attendirent pas pour partir en balade. Balade qui fut tellement fatigante qu'une fois rentrés chez eux, leur mère eut juste le temps de les installer sur le canapé avec une chaude couverture et de leur préparer un chocolat chaud, pour les retrouver quelques minutes plus tard déjà dans les bras de Morphée. Elle eut un sourire attendrie, les borda, et leur déposa un baiser sur le front à chacun.

La nouvelle avait fait l'effet d'une bombe. L'état de sa mère s'était dégradé. Quelques temps auparavant, le médecin lui avait diagnostiqué un cancer des poumons. Eden pouvait se souvenir que son frère avait tapé du poing « Mais bon sang, elle ne fume même pas ! » Mais c'était ainsi, cette maladie n'épargne personne, pas même Annabella Hanson. Dès lors, elle avait du commencer la chimiothérapie. C'était cela, ou elle allait mourir. Alors bien évidemment, elle perdit ses cheveux. Mais peu importait, ses deux enfants la trouvaient toujours la plus belle maman du monde. Mis à part ses cheveux en moins cachés par un foulard, rien ne changeait à leur quotidien. Rien, jusqu'au jour où son état s'était aggravé. Ordre du médecin, elle ne devait plus faire des efforts physiques. Elle passait donc le plus clair de son temps à la maison, à l'intérieur, ne pouvait aller dehors et voir son fils et sa fille monter à cheval. Ce fut à ce moment que la maladie se fit bien sentir. Cela se voyait sur son visage, la fatigue. Mais malgré cela, elle gardait le moral, pour son mari et pour ses enfants. Elle faisait pour être forte pour eux, elle leur devait bien cela.
Puis Eden rentra des cours. Elle était en pleine période d'adolescence, la période ingrate comme on dirait, et avait un caractère bien trempé. Quand sa mère avait été déclaré malade, elle n'avait pas voulu y croire, et était devenue un peu plus nerveuse qu'elle ne l'était déjà. Comme à son habitude quand son père ne pouvait venir la chercher, elle faisait le long trajet à pied. Long en effet, car le ranch se situait un peu en retrait de la ville, plus au calme pour les chevaux. Elle marchait, marchait. Puis quand elle arriva chez elle, quelque chose n'allait pas. Une voiture de police était devant le porche. Son père et son frère discutait avec un des policiers, à l'extérieur. « Qu'est-ce qu'il se passe ? » Son père vint alors à sa rencontre, le visage vide, métamorphosé. On dirait dit un autre homme. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il prononça les mots les plus horribles qu'un enfant puisse entendre : le décès d'un parent. Eden se sentit absorbée par le sol, il l'appelait, la tirait vers lui. Sa mère n'avait pas survécu face au cancer, qui l'avait emporté. Elle resta là, statique, tandis que ses yeux l'emplirent de larmes. Maman ne sera plus jamais là. Son père la prit dans ses bras. Mais ce n'était pas pareil qu'avec Maman, qui rien qu'avec un câlin pouvait faire disparaître tous les problèmes. Non, là c'était différent. Le jour de l'enterrement, aucun membre de la famille ne s'adressa la parole. Pas l'envie, pas la force. Beaucoup de personnes se retrouvèrent pour l'enterrement de Annabella Hanson, qui était appréciée par toute la ville de Graham. Ce jour-là, la ville s'habilla de noir en respect à cette mère de famille, qui laissait derrière elle un mari désorienté, et deux adolescents sans repères. Les habitants présentaient ses respects, mais Eden n'en avait cure. Cela ne ramènerait pas sa mère, alors ils pouvaient garder leur salive ! Tout le long, elle avait gardé ses larmes pour elle, pour paraître forte. Ce ne fut qu'au moment où son frère lui prit tendrement la main, que les larmes roulèrent sur ses joues roses.
Suite à la mort de sa mère, Eden ne voulut plus jamais monter à cheval. Elle aimait monter à cheval car cela la rendait libre, heureuse. Et là, elle n'était pas heureuse. C'était plus fort qu'elle. Comme un sportif qui a peur de rejouer après un accident. Elle passait devant les écuries sans la moindre envie. Et puis à quoi bon ? Pourquoi monter à cheval, rire aux éclats quand le cheval saute l'obstacle, quand le cœur n'y est pas ? Elle et son frère ne trouvèrent aucun réconfort auprès de leur père, qui semblait encore plus dévasté qu'eux. Ce fut auprès de Jordan qu'elle trouva un réel soutien. Mais malgré cela, il ne réussit pas à refaire monter sa sœur cadette à cheval. Pour aller de l'avant, elle avait besoin de changement, le genre de changement qui ferait office de bombe atomique. C'est ainsi qu'elle changea complètement sa garde-robe, pour un style plus sombre, beaucoup plus sombre. Elle changea également de coupe de cheveux. Ce fut son ami Dorian qui s'y colla. Passionné depuis toujours par la coiffure, c'est avec plaisir qu'il aida son amie. Il lui coupa les cheveux aux épaules, lui fit plusieurs mèches roses bonbons ! Si ce style extravagant ne passait pas inaperçu dans la ville, personne n'y trouva rien à redire. On la laissa exprimer sa peine comme elle le sentait. Au fond, ce n'était qu'une adolescente qui avait perdu sa mère bien trop jeune, à l'âge de treize ans.

Le réveil sonna. Tôt, bien trop tôt au goût de Eden, qui visiblement avait passé une mauvaise nuit. Faut dire, c'était la rediffusion des épisodes de Sex & The City à la télé passé vingt-trois heures, comment pouvait-elle refuser ? Là voilà maintenant, à six heures du matin à pester contre ce satané réveil. Elle enviait ces gens qui avaient pour patron un simple inconnu. Parce qu'ainsi, elle aurait pu appeler sur son lieu de travail, feindre d'être malade, et pouvoir faire la farniente toute la journée ! Mais non, il avait fallu que son patron soit son propre frère. Et là, pas la peine d'appeler pour dire qu'elle était malade, la ruse aurait été découverte aussitôt. Pas le choix, elle devait se lever. Elle se prépara un café et des tartines beurrées avec de la confiture, et se posta devant la télé pour prendre son petit-déjeuner. Des dessins animés passaient justement. Parfait. Ce n'est parce qu'elle avait atteint les vingt-trois ans qu'elle ne pouvait plus se permettre de regarder les dessins animés, si ? Et puis zut, on a qu'une vie. Elle regarda sa montre et ô malheur ! Elle était en retard ! Elle courut s'habiller (tant pis pour la douche, elle le prendrait le soir), se maquilla en vitesse (oui oui, ce n'est pas parce qu'on passe la journée dans les écuries en compagnie de crottin de cheval qu'on ne peut pas être jolie!). Elle prit à peine le temps de se coiffer, et rejoignit son frère. Elle avait déménagé quelques années auparavant, ne supportant plus l'ambiance de la maison, qui lui rappelait trop de souvenirs douloureux. Cependant, elle n'avait pas pu se résoudre à laisser son frère s'occuper seul du ranch avec son père. « Tu es en retard, encore. » la gratifia son frère une fois son arrivée au ranch, l'air réprobateur. « Oh ça va, de toute manière tu peux pas me virer, on est de la même famille » répliqua le petit bout de femme en lui tirant la langue. Ni une ni deux, elle se mit à la tâche. Elle se rendit dans les écuries afin de nettoyer les boxes des chevaux. Elle entra dans le premier enclos, et comme à son habitude, passa ses bras autour de l'encolure du cheval comme pour le prendre dans ses bras. Finalement, elle avait réussi à remonter à cheval. Cela avait pris des années et beaucoup de patience, mais dix ans après elle était « guérie » et avait su renouer avec sa passion. On n'a jamais su réellement ce qui avait motivé Eden à vaincre sa peur. Certains disaient qu'elle avait fait le deuil de sa mère, les mauvaises langues disaient que tout ce temps elle avait joué la comédie pour qu'on s'intéresse à elle. En réalité, ne pas monter à cheval la rongeait petit à petit. Pendant des années, elle se sentait opprimée, et un beau jour elle craqua, se mit un coup de pied aux fesses, se dit qu'elle devait affronter ses peurs. Elle avait donc prit une selle, préparé un cheval, et personne ne la revit de la journée.
En repensant à ce souvenir, son cœur se serra. Peu importe à quel point ce lieu lui faisait mal, c'était ici sa place. Cette écurie, toujours et à jamais.